Crash de l’An-148 de Saratov Air : les sondes Pitot en cause ?

Trois jours après l’accident dramatique de l’Antonov An-148 de la compagnie russe Saratov qui a eu lieu le 11 février dernier dans la région de Moscou, les enquêteurs ont déjà publié les premières conclusions de leur analyse des enregistreurs de vol.

Le IAC, Interstate Aviation Commitee (en russe le « MAK »), qui régule l’aviation civile dans 12 pays de l’ex-URSS (l’Ukraine n’en fait pas partie), a publié par le biais de son « bureau d’enquête sur les accidents aériens » (équivalent du BEA en France) un communiqué qui nous détaille l’enchaînement des faits ayant conduit à l’accident.

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Communiqué du IAC, publié le 13 février 2018.

La rapidité avec laquelle les enquêteurs ont pu donner leurs conclusions est assez inhabituelle, mais doit certainement s’expliquer par la volonté de couper rapidement court à toutes les rumeurs les plus farfelues quant aux causes de ce crash.

Venons en directement aux faits tels qu’ils sont décrits dans ce communiqué.

Pour les enquêteurs, l’enchaînement est le suivant :

les trois sondes pitot n’étaient pas dégivrées au moment du décollage, alors qu’elles l’étaient lors des 15 vols précédents d’après les données du FDR (flight data recorder)
– juste après le décollage les pilotes ont engagé le pilote automatique
– au bout de 2min30 de vol, à l’altitude de 1300m et à la vitesse air de 470 Km/h, le FDR enregistre des écarts de vitesse entre les modules de données des tubes Pitot 1 et 3 (celui du CDB et celui de Stand By).
Précision : les données issues du tube Pitot 2 (celui du copilote) ne sont pas enregistrées sur le FDR
– au bout de 25 secondes l’écart de vitesse mesuré dépasse les 30 Km/h
– l’équipage reçoit un signal d’alarme pendant 10 secondes qui l’informe d’une incohérence dans les vitesses
– après l’apparition de l’alarme pour la seconde fois, l’équipage désengage le pilote automatique
– la vitesse issue de la sonde Pitot 1 est de zero Km/h, celle issue de la sonde Pitot 3 est d’environ 560 Km/h
– la vitesse issue du tube Pitot 3 est descendue ensuite sous les 200 Km/h
l’équipage a appliqué une assiette à piquer de 30-35 degrés
– au moment de l’impact la vitesse enregistrée par le Pitot 3 était environ de 800 Km/h

Petit rappel sur les sondes Pitot :

Les sondes Pitot sont des tubes par lesquels l’air (vent relatif) va s’engouffrer et ainsi générer une pression dite totale. D’autres capteurs de pression, appelés prises statiques, situés également sur le fuselage vont donner une pression statique. Un calculateur fera la soustraction entre pression totale et pression statique pour obtenir la pression dynamique de laquelle découlera une vitesse de l’avion par rapport à l’air.

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Position des sondes Pitot sur un An-148 (@wikimedia)

Sur l’Antonov 148, il y a 3 sondes Pitot (modèle PPD-1M) (2 sur le côté gauche et une sur le côté droit). Chacune d’elle est indépendante et possède son propre module de calcul (Air Data Module). L’An-148 possède également 4 paires de prises statiques, aussi indépendantes. Outre les 3 systèmes de calculateurs (Air Data Module), il y a également un système de secours qui récupère les données du Pitot 3 et de la paire N°4 de sondes statiques.

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A gauche une sonde Pitot d’An-148. A droite le schéma de branchement des sondes Pitot sur l’An-148.

Les tubes Pitot sont extrêmement sensibles au givrage, et la moindre modification du profil du tube peut engendrer des erreurs sur le calcul des vitesses. Pour cette raison, ils doivent être dégivrés en vol au moyen d’un système de chauffage.

Sur la plupart des avions de ligne modernes, le système de réchauffage des Pitot est automatiquement mis en marche au démarrage du premier moteur. Cela évite entre autre d’oublier d’actionner cette fonction.

En revanche, l’An-148 ne possède pas de système automatique de mise en service du réchauffage des tubes Pitot. Ce sont les pilotes qui doivent actionner manuellement les 3 boutons de réchauffage des sondes. Pouvoir couper manuellement les sondes peut présenter plusieurs intérêts, comme l’économie d’énergie, la limitation de l’usure du tube et du système de chauffage. Cela peut également permettre de réduire les risques de brûlure du personnel amené à travailler à proximité des sondes.

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Position des trois boutons d’activation du réchauffage des sondes sur l’An-148. (@wikimedia)

Par contre le réchauffage des sondes doit impérativement être activé par l’équipage avant chaque vol. Pour éviter tout oubli, cette activation est rappelée dans la check-list avant démarrage. Si l’équipage déroule sa check-list convenablement, cette activation ne doit en théorie pas être manquée.

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Check-list avant démarrage, An-148.

La check-list précise bien que le réchauffage des sondes (PPD) doit être sur ON avant le démarrage.

Mais cela n’est pas tout. Le manuel de vol de l’avion rappelle les actions que l’équipage doit entreprendre avant le décollage, en particulier lorsqu’il est aligné sur la piste prêt au décollage. Et parmi ces actions, il y a la vérification de l’activation du système de réchauffage des sondes.

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Actions avant décollage, An-148.

En l’état actuel des informations transmises par les enquêteurs, l’explication de cet accident s’oriente donc vers une mauvaise application d’une check-list avant décollage par l’équipage. Il reste encore quelques zones d’ombre à éclaircir, en particulier concernant une éventuelle panne du système de réchauffage des sondes. Se posera également la question de l’ergonomie de l’An-148 et de la pertinence d’avoir privilégié la mise en marche manuelle du réchauffage des sondes au lieu d’un système automatisé. Les recommandations de la commission d’enquête seront intéressantes à suivre.

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